Homélie du 17 Septembre 2023

Homélie 24^ème dimanche du Temps Ordinaire (A)

17 Septembre 2023

490 ! C’est le nombre de fois qu’il faut pardonner à son frère selon Jésus. Du moins c’est ce que je pensais étant enfant en écoutant cette parabole. J’avais fait le calcul à partir de la réponse de Jésus : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois,
mais jusqu’à 70 fois sept fois ». C’était sans prendre en compte la suite de la réponse que Jésus nous donne par la parabole du serviteur à qui l’on remet sa dette. Jésus veut précisément nous faire sortir d’une logique comptable. Il veut nous montrer que la miséricorde ne se calcule pas.

Les chiffres qui sont avancés par Pierre puis par Jésus sont hautement symboliques. Ils font référence au désordre créé par le péché dans la Genèse. En effet, suite au meurtre d’Abel par la jalousie de son frère Caïn, celui-ci a peur des représailles et d’être tué à son tour. Le Seigneur pour le protéger déclarera : « Si quelqu’un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois^[1] ». L’escalade de la violence est enclenchée et quelques décennies plus tard, Lamech dira : « écoutez ma parole : Pour une blessure, j’ai tué un homme ; pour une meurtrissure, un enfant. Caïn sera vengé sept fois, et Lamech, soixante-dix-sept fois^[2] ! »

C’est la surenchère dans la violence que nous pouvons constater autour de nous ; au plan international mais aussi dans nos propres vies. Combien de fois n’avons-nous pas eu une réaction excessive à cause d’une petite contrariété ? Nous sommes passés maîtres dans l’art de la rancune et de la colère nous disait Ben Sira dans la Première Lecture !

Cette surenchère de la violence c’est le poison qui se répand dans notre monde depuis le premier péché. Le Christ vient nous montrer que le seul principe qui peut enrayer cette spirale infernale c’est le pardon. Il sera celui qui le manifestera de la manière la plus remarquable lorsque sur la croix il dira : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Reconnaissons que donner un tel pardon nous semble bien souvent impossible. Avoir une âme suffisamment indulgente pour ne tenir aucune rancune envers une personne qui nous a fait du tort paraît inaccessible. Dans un monde où tout se paye, on serait tenté de tenir nos listes de comptes jusqu’à ce que chacun règle sa dette envers nous. Parfois même, ces rancunes se transmettent de génération en génération.

Finalement, le pardon n’est pas naturel, il est surnaturel ! Pour que nous tentions de le proposer aux autres, il faut que nous en ayons fait l’expérience d’abord pour nous même. Nous laisser toucher par la miséricorde de Dieu, c’est le point de départ de toute demande de pardon. Faire l’expérience de cette tendresse toute particulière que Dieu a pour nous malgré les fautes que l’on a commises.

Prendre conscience de la miséricorde que Dieu nous fait et lui rendre grâce pour la main qu’il nous tend, voilà ce qui a manqué au serviteur de la parabole. Dieu ne nous doit rien et pourtant il nous donne tout. Ce n’est pas normal de se présenter devant le tout puissant avec nos péchés et d’obtenir son pardon. C’est la folie de l’amour que Dieu a pour nous ! Cette folie de toujours nous redonner une chance et de ne jamais nous coller une étiquette indélébile. Chaque fois que nous nous présentons devant Dieu dans la confession, nous redevenons un homme nouveau. Ce n’est pas naturel, c’est surnaturel !

C’est à partir de cette grâce offerte par le Seigneur que nous pouvons à notre tour trouver la force de pardonner. Plus on s’approche du sacrement de réconciliation et plus notre cœur s’adoucit et s’assouplit pour exercer la miséricorde. C’est le chemin inverse de celui qui s’entête et dont le cœur s’endurcit petit à petit.

Le pardon nécessite un don de soi-même, quelque chose qui dépasse toute comptabilité et qui échappe à tout calcul. Le pardon n’est vrai que lorsqu’il est gratuit. C’est donc à l’école du Christ qu’il faut marcher, pour ne jamais vivre le pardon comme un dû mais toujours comme un don. 

Se laisser réconcilier avec Dieu pour se réconcilier avec nos frères, telle est la ligne directrice de la vie chrétienne. Et nous aujourd’hui, quel pardon avons-nous à recevoir et quel pardon avons-nous à donner ? Si tu as quelque chose contre ton frère, laisse là ton offrande et va te réconcilier avec lui. Et si formuler une demande de pardon est encore trop prématuré, commençons par présenter celui qu’on a blessé (ou qui nous a blessé !) au Seigneur dans le creux de notre prière.

« Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? »

Réjouissons-nous d’avoir si facilement accès à cette grâce du pardon de la part du Seigneur, pour que notre cœur ne s’endurcisse pas, mais que par nous, la miséricorde de Dieu puisse se déverser. Amen.

Père Thibault de Bruyn

^[1] Gn 4, 15.

^[2] Gn 4, 23-24.