Homélie du 23 Février 2025

« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent ». En entendant ces paroles je ne dois pas être le seul à penser : « Jésus, tu exagères ! ».

Essayons de nous mettre à la place, par exemple, de nos frères catholiques ukrainiens qui entendent ce même évangile aujourd’hui : « Aimez vos ennemis ! »

L’évangile de ce jour suit immédiatement la proclamation des Béatitudes par Jésus, dans Saint Jean : « Bienheureux les pauvres ! ». Là encore, affirmation étonnante !

La seule façon de comprendre vraiment l’évangile, ce n’est pas seulement de l’écouter, mais c’est surtout de regarder Jésus lui-même. Car Lui seul est saint, Lui seul vit pleinement les béatitudes, en se faisant totalement pauvre. Comme le dit Saint Paul « Lui, de condition divine, n'a pas revendiqué le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est anéanti, prenant la condition non seulement de pauvre mais d'esclave »

De même, dans cet évangile, Jésus est le seul celui qui aime véritablement ses ennemis, non seulement en leur pardonnant sur la croix, mais aussi en donnant  sa vie tout entière pour eux, comme pour chacun d’entre nous qui ne valons guère mieux.

Pourtant, il ne faut pas non plus tomber dans une lecture littérale du texte. Quant un soldat a giflé Jésus, il ne lui a pas tendu l’autre joue,  mais il a défendu le droit et la  justice : « Si j’ai mal parlé, montre moi ce que j'ai dit de mal. Si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » Le pardon ne remplace pas la justice, mais il la surpasse.

A vrai dire, cependant, Jésus ne tendra pas seulement l’autre joue, mais son corps tout entier, au supplice de ses bourreaux.

« Ce qui vient d'abord, ce n'est pas le spirituel, c’est le physique », dit Saint-Paul dans la deuxième lecture.»

En vérité, depuis notre baptême, notre vie est un combat permanent contre la tentation du mal, et le plus souvent contre nous-mêmes.  Mais il s’agit en même temps d’une œuvre d’amour, pour Dieu, pour nos frères, et aussi pour nous-mêmes que nous avons parfois aussi du mal à aimer.

Il s'agit de devenir véritablement enfant de Dieu, c'est-à-dire de plus en plus semblable au Christ, le fils unique de Dieu. C'est l’appel à la sainteté, notre unique vocation, commune à tous, laïcs ou consacrés, jeunes ou vieux.

Il ne s’agit pas simplement d’une morale, mais tout simplement de la réponse de tout notre être à l'amour que Dieu nous porte.

Il s'agit d'être miséricordieux, comme notre Père miséricordieux. Et la miséricorde de Dieu envers nous, c’est un amour qui donne la vie, et la redonne sans cesse, notamment par le pardon, et par les sacrements, comme dans l’eucharistie que nous allons célébrer maintenant et par laquelle Dieu nous redonne vie.

Soyons miséricordieux comme le père pour le fils prodigue, dans la parabole, et comme aurait dû le faire le fils aîné (c'est-à-dire nous) vis-à-vis de son frère cadet.

Nous sommes donc appelés à pardonner, car nous avons-nous même besoin d’être pardonnés. Bien sûr que ce n'est pas facile d'aimer véritablement ses ennemis, et même simplement de leur faire du bien. Surtout lorsque le contact est perdu avec la personne avec qui nous sommes en conflit. Alors, au moins dans la prière, bénissez-le…

Personnellement j'ai vécu une expérience de conflit dans mon milieu professionnel avec un collègue qui était autrefois une amie et dont je suis devenu le supérieur hiérarchique. Mais elle a considéré que j'avais été injuste envers elle et elle m’en a beaucoup voulu. J’ai essayé de m'expliquer avec elle, je lui ai demandé pardon mais elle l’a refusé. Et nous ne nous sommes jamais revu depuis de longues années.

Mais depuis, chaque fois que son souvenir me revient, je prie en demandant au Seigneur de lui faire du bien, de lui donner tout le bonheur possible. C'est la seule façon qu'il reste de faire du bien à cette personne. Cela s’est passé il y a environ 20 ans. Mais je crois que j’ai mis à peu près 10 ans, en priant, pour pouvoir retrouver la paix et même la joie en pensant à cette personne. Et j’espère qu’il en est de même pour elle.

Et puis souvent, aussi, nous ne nous rendons pas compte du mal que nous pouvons causer. Et nous nous pardonnons bien facilement à nous même.

Cet évangile est donc un nouvel appel à la conversion, et pas seulement pendant le temps du carême où nous allons bientôt entrer. Mais c’est le combat de toute une vie. Il s'agit de convertir véritablement nos paroles et nos actes, et même nos mauvaises habitudes de penser, et par exemple nos convictions politiques lorsqu’elles ne sont pas conformes à l’évangile, et auxquelles nous sommes pourtant parfois plus attachés ! Parfois c’est notre seule attitude qui peut blesser nos frères, à cause de notre humanité blessée. Là encore, demandons à Dieu de nous guérir, car, comme dit le psaume de ce jour : « il te guérit de toute maladie ».

Cette conversion ne peut donc se faire qu'avec la grâce de Dieu qu'il faut demander chaque jour, comme nous demandons à Notre Père de nous pardonner nos offenses. Mais c’est par dessus tout l’œuvre de l’Esprit Saint, si nous voulons bien nous tourner vers Lui en toutes circonstances et faire sa volonté.

Et en sachant que cette conversion ne sera jamais finie. Au dernier jour de notre vie nous aurons encore à nous convertir, une ultime fois, en contemplant la grandeur, la profondeur et la hauteur de l’Amour de Dieu, Lui qui nous a déjà par avance tout pardonné en mourant sur la croix et, comme dit le psaume : « Lui qui réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse ». Amen.

Etienne ROGINSKI  - Diacre