On peut dire cette prière en remplaçant les noms qu'évoque Marie Noël, par ceux des chrétiens persécutés, les chômeurs, les victimes de la drogue, les malades à bout de souffle, les enfants martyrisés et tant d'autres confrontés à la dureté de la vie.
Mon Dieu, je viens à vous pour trouver un peu d’aide,
Avec les pauvres gens qui me chargent le coeur.
Ils souffrent.
Je ne sais où trouver le remède à leur sort
Ni comment leur ôter leur douleur.
Mon Dieu, votre pitié voit plus clair que la nôtre.
Je les apporte à vos genoux, l’un après l’autre :
Délivrez-les du mal, mon Dieu, chacun du sien...
– Moi, Seigneur ?
Ô mon Dieu, je n’ai besoin de rien.
C’est ma voisine. Hélas, mourir lui fait envie !
Elle a laissé son pain se perdre et n’en a plus.
Elle ne savait pas se servir de sa vie
Et la voilà qui reste avec son corps perclus,
Sa misère sans bout, ses vieux jours hors d’usage.
Ah ! pour sortir de là trouvez-lui un passage.
Je suis pauvre et c’est peu que je lui donne du mien...
– Moi, Seigneur ?
Ô mon Dieu, je n’ai besoin de rien.
C’est mon frère malade. Hélas ! il a traîné l’année
Toujours dans la même aigre et dolente saison,
Il a séché sans fruit, pareil à la graine fanée
Qui ne peut pas lever et gît sous le gazon,
Savez-vous, ô vous, Dieu, comme l’épreuve est dure ?
Moi qui le sais, j’implore.
Empêchez qu’elle dure.
Pour celui-là, parlez et sa force reviendra...
– Moi, Seigneur ?
Ô mon Dieu, je n’ai besoin de rien.
C’est mon amie en deuil. Pâle en sa maison vaine
Où ses yeux ne sont plus, elle cherche sans voir,
Elle vaque, épiant le choc sourd de sa peine.
Mon Dieu, ne la laissez pas seule avec le soir,
Mais descendez près d’elle, allez-y tout à l’heure
Pour l’aider à pleurer et pendant qu’elle pleure,
D’elle au monde en secret, renouez le lien...
Moi, Seigneur ?
Ô mon Dieu, je n’ai besoin de rien.
C’est ma petite soeur qui n’est guère jolie,
Ma soeur pareille à moi qui n’a pas de bonheur.
C’est difficile, ô Dieu, même quand on l’oublie,
De marcher tous les jours sans soleil dans le coeur,
De passer sans entrer sur le seuil des tendresses.
Père, ah ! qu’un peu d’amour par pitié la caresse,
Être heureuse un moment lui ferait tant de bien !...
– Moi, Seigneur ?
Ô mon Dieu, je n’ai besoin de rien.
Mon vieux maître... Il a lu de quoi remplir dix têtes.
Comme il vous servirait, ô mon Dieu ! mieux que moi,
Lui si bon, s’il savait seulement qui vous êtes.
Ne lui direz-vous rien qui lui souffle la foi ?
Le malheureux, il n’a que lui comme lumière !
Où vous trouverait-il ? Cherchez-le, Ô Grâce divine,
commencez avec lui l’entretien...
– Moi, Seigneur ?
Ô mon Dieu, je n’ai besoin de rien.
Ma mère... Un coeur malade
toujours sur le point de se fendre,
Dans son trouble, Seigneur, qui saurait l’aller prendre
Et du fond de sa nuit le ramener au jour ?
Mais vous qui le voyez battre en la pauvre femme,
Ô mon Dieu, préparez dans l’ombre de cette âme,
Dès un nouvel émoi, vite, un nouveau soutien...
– Moi, Seigneur ?
Ô mon Dieu, je n’ai besoin de rien.
Regardez, ô mon Dieu, tous ceux que je rencontre,
Ceux en qui je m’arrête à souffrir un instant
Et que je laisse après.
Seigneur, je vous les montre.
Vous, souvenez-vous de ceux que j’oublie – ils sont tant !
Demeurez avec eux tandis que moi je passe,
Portez-les jusqu’au soir puisqu’avant je suis lasse,
Sauvez-les tous pour moi qui n’ai pas le moyen...
– Moi, Seigneur ?
Ô mon Dieu, je n’ai besoin de rien.
C’est vrai, je n’ai guère eu de chance ni d’adresse,
Ni de bien beau chemin depuis que j’ai marché,
Ni tout à fait, assez, peut-être, de tendresse.
– Mon coeur tremblait si fort que j’aurai mal cherché ? -
C’est vrai, mon Dieu, je n’ai nul bien d’aucune sorte,
Ni bonheur, ni santé, ni richesse.
N’importe, j’ai tout ce qu’il me faut
Et vous le savez bien, Dieu de joie,
Ô mon Dieu, je n’ai besoin de rien.
Marie Noël (les chants de la Merci)